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Partie II – Thème : An ba chenn-la.
Vous me croirez ou non, mais de près, cette fille a l’air encore plus ababa que je ne le croyais quand je les observais de la voiture. C’est Roy qui m’a accueillie. Il m’a vue arriver et s’est dépêché de me rejoindre, certainement pour s’assurer que je venais en paix… Ma fille quant à elle, s’est remise à jouer comme si de rien n’était. Ni son père ni l’autre, ne se sont aperçus qu’elle m’avait repérée bien avant que je ne me mette à crapahuter tantôt dans le gravier, tantôt dans l’herbe, pour arriver jusqu’à eux. Putain de parc pour enfants. Ils font exprès de foutre des matériaux qui vous niquent vos chaussures ??
-Hélène… Qu’est-ce-que tu fais ici ? Tu aurais dû me dire que tu venais, tu sais bien que je ne t’ai jamais empêchée de voir la petite.
-Alors continues comme ça mon amour, dis-je, traversant sans marquer un seul temps d’arrêt ni même lui adresser le moindre regard.
« Mon annexion est en marche mon chou », pensais-je. Ouaip, maman vient vous délivrer, et tu m’en remercieras ».
Son parfum m’envoûtait toujours autant. Qu’est-ce-que j’aimais cet homme… Et lui, me connaissait suffisamment pour n’avoir pas essayé de me retenir. Je n’avais pas besoin de le regarder. Je savais qu’il était debout, poings sur les flancs, et qu’il me regardait progresser. Mais je jetai tout de même un petit coup d’œil vers l’arrière, furtif, juste pour voir.
Bingo. J’avais raison. Je te connais si bien Roy. Kon si an té fèw…
Mais il y en avait une qui n’en n’avait pas raté une miette. Elle m’observait, avançant bien droite, hautaine, mains dans les poches, lunettes de luxe, rouge à lèvres mat marron, sneakers blanches immaculées dernière tendance, et à moitié foutues depuis quelques secondes. Les sacrifices n’en finissent donc jamais. Je l’intimidais je crois, elle ne m’adressa pas un mot, lorsqu’elle me vit rejoindre ma fille.
Ashanti s’engouffra dans le toboggan en tube et se laissa glisser, pensant m’échapper. À sa sortie, j’étais là. Je baissai la tête en enlevant avec soin, mes lunettes de soleil, pour mieux la voir. Je l’admirais. Ma fille… Belle, parfaite. L’élégance de sa mère et cet air de défi dans le regard, qu’elle m’a aussi emprunté. Mais je sens cette douceur en elle, une candeur infantile, que l’on sait qu’elle gardera toujours. Ça, c’est son père. J’aurais peut-être dû me baisser pour lui faire un petit câlin ? Ou juste pour me mettre au même niveau qu’elle ? Ça les rassure il paraît. Et bien pas moi. Un faux mouvement et je me retrouve le cul sur ce sol dégueulasse, plein de morve et de je ne sais quels fluides de je ne sais combien d’autres petits « monstres » mal odorants.
Et voilà que sans crier gare, l’un d’entre eux vint directement se plaquer contre ma jambe . Un chien en chaleur n’aurait pas agit autrement. N’ayant aucune espèce d’affection pour les bêtes qui ne sont pas capable de s’occuper d’elles-mêmes, j’ai donc vigoureusement remué mon membre inférieur, jusqu’à me débarrasser de l’intru. Il atterrit sur le derrière, non loin de là. Triste spectacle que celui de cette chose braillante au sol, attendant les bras réconfortant de sa mère, qui avait rappliqué au premier « ouin ». Elle me lança un regard inquisiteur dont bien sûr, je me foutais royalement. On dirait que tous les parents s’attendent à ce qu’on aime leur progéniture presque autant qu’eux. Je la toisai d’un regard qui voulait dire : « C’est ton gosse qui joue les chihuahuas ma vieille, alors t’as qu’à l’attacher« .
Il n’empêche qu’en voyant cette femme accourir pour réconforter son gosse, je su que je n’avais jamais été une enfant. Mais je serai une mère. Pas CE genre de mère, on est d’accord, mais une mère quand même. Je regardais ma fille du haut de mon mètre soixante dix. Elle, me fixait et semblait avoir analysé chaque minute de ce qu’il venait de se passer. Il y eu un silence. On se jaugeait l’une, l’autre. Elle se demandait sûrement comment elle allait me faire payer, et moi, comment j’allais m’y prendre pour la récupérer.
-Coucou ma chérie… Tu m’as manqué.
-Bonjour Madame.
-Ashanti, tu sais parfaitement qui je suis.
-Ma maman.
-Oui c’est ça.
-Ma maman, reprit elle, m’a dit de ne pas parler aux inconnus. Maman ! hurla t-elle se ruant vers l’attardée.
Sans déconner… Maman ? Ma-man ?? Comment cet abruti de Roy a t-il pu laisser une telle chose arriver ?? Ma fille… MA fille, appelle une autre femme « maman » ?? Je ne me retournai pas immédiatement. Je restai là, interdite et furax. Je devais me reprendre, et vite. Il n’était pas question que l’autre dégénérée me voit dans un état pareil. J’étais au bord de la crise de nerf. Intérieurement, je fulminais. À peine arrivée, mes shoes étaient bousillées, un gnome-chihuahua m’avait attaquée, et ma fille appelait une étrangère pas très fut-fut, « maman ». C’était la pire journée de ma vie. Après mon accouchement bien évidemment.
Rétablie, au moins en surface, je me dirigeai vers ma fille, en moins de deux. Elle était blottie dans les bras de ce doudou humain. Cette femme n’avait-elle aucune autre utilité que celle-ci ? Pff.
-Ça va mon ange, la rassurait elle, pas peu fière d’être enfin devenue maman de substitution, dans un recoin de parc pour enfants. Et plus fière encore de me le montrer.
C’est vous dire les standards… Roy s’interposa à ma démarche, avec sa délicatesse habituelle.
-Elle ne l’avait jamais appelée comme ça auparavant, c’est la première fois. Alors je lui parlerai, ne t’en fais pas.
Il chuchotait.
– Mais il faut que tu la comprennes Hélène. Depuis ton départ on peut compter sur les doigts d’une main de manchot, le nombre de fois où tu es venue la voir ! À quoi tu t’attendais franchement ?
Je lançai un regard à ma fille, il fallait que je vérifie quelque chose… Et le voilà, à nouveau ce regard. Mon regard. Un regard en coin qui se demandait, comment j’allais la jouer après cet uppercut.
-Touché. Bien joué ma p’tite garce, dis-je rassurée et fière.
Je souriais, amusée. Ok, Le jeu avait commencé et cette petite chieuse avait marqué le premier point.
-Quoi ? C’est ta fille de quatre ans que tu traites de garce Hélène ?? intervint Roy choqué.
Il n’y comprenait rien.
-Mais tu t’entends ? C’est une petite fille. Et elle ne se rappelle probablement pas beaucoup de toi.
-Que tu crois Roy, répondis-je en faisant glisser mes lunettes, le laissant juste entrevoir mes yeux. Et puis tu exagères, je suis venue. Suffisamment en tous cas, pour qu’elle sache parfaitement qui je suis.
-Hélène…
-Roy, le coupai-je. Ta fille te ressemble tellement qu’on croirait que tu t’es reproduis tout seul comme un grand. Mais là-dedans, dis-je en me tapotant la tête du bout de l’ongle, c’est moi. Alors laisse-moi faire s’il te plait.
-Tu es là pour combien de temps cette fois ?
Il m’attrapa le bras, délicatement, soigneusement, fondant son regard dans le mien. À cet instant, je su qu’il m’aimait toujours. Et passionnément. Un point pour moi. Si on arrive à séduire le père ou la mère, on a déjà la moitié du gosse dans la poche, non ? Voyant que le doudou humain décérébré ne nous avait pas quitté des yeux, Roy prit ses distances.
-Écoute Hélène, il vaut mieux que tu t’en ailles. Si tu veux la voir, appelle moi et on organisera ça.
C’est ça Roy, joue les détachés. Mais on sait tous les deux qu’on est fait l’un pour l’autre. Tjè an nou maré an ba menm chenn la. Et Pour le reste, tu me pardonneras. Évidemment, ces mots se cantonnaient à mes pensées. Il n’était pas prêt à les entendre et encore moins, à les accepter. Pour l’instant. Mais ces prochains jours, j’allais me charger de le lui montrer, de leur montrer à tous les deux. Que dis-je, à tous les trois…
Texte : Yan Oya.