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Atelier d’écriture : « La mère parfaite » par Yan Oya – Partie I.

Regardez-les moi… S’ils ne sont pas adorables.

Il faut dire qu’il a toujours été fou d’elle. Et elle, elle adore ça, être dans ses bras, virevolter avec lui. Lui, la faisant tourbillonner à bout de bras, elle, éclatant de rire, et lui aussi. C’est beau, vraiment…. Un père et sa fille, unis, fusionnels, eux contre le monde entier blablabla toutes ces conneries. Mais le tableau ne serait pas complet sans l’autre pute. Apparemment, elle est géniale de ce qu’il me dit. Et je le vois, ma fille l’adore. Ils sont à leur place, là, chacun. Et moi, à la mienne, les épiant comme une pauvre tarée dans ma voiture. Le soleil du matin est aveuglant, mais je préfère observer la scène sans mes lunettes de soleil. Leur filtre fait d’un dégradé de marron, ne ferait qu’altérer la beauté de cette scène digne d’un film hollywoodien.

Tout a commencé il y a environ 4 ans maintenant. Il voulait absolument un gosse. Moi, pas. Je n’y avais d’ailleurs jamais réfléchis par moi-même. Ce sont les autres qui ont commencé à m’en parler à partir d’un certain âge. Une intrusion perpétuelle dans mon intimité. Un viol mental à répétition pour moi, une incessante et superbe invitation à la procréation, pour lui. Allez comprendre… Je trouvais notre vie parfaite telle qu’elle était. Les amis, la famille nous demandaient régulièrement : « Alors bientôt un petit bébé ? Vous êtes si bien ensemble, il serait peut-être temps non ? ». « Eh ben dès que vous serez prêts à venir à la maison pour vous lever la nuit et changer les couches pleine de merde ! ».

En général, lorsque je répondais ça, ça calmait tout le monde. Et moi, je partais dans un fou rire intérieur qui ne se traduisait que par un sourire complaisant en surface. Vous voyez le genre… Lui aussi souriait, mais le sien était plus gêné qu’autre chose. Invariablement ça finissait sur une discussion, que dis-je, une dispute « bébés », dès qu’on commençait à attacher nos ceintures dans la voiture. Et puis un jour, de guerre lasse, j’ai cédé. Il m’avait assuré qu’il serait présent, qu’il se lèverait la nuit, les biberons et tout ça… Ou le sein… Haha !!! Alors là, ça non. Pas question que le morveux ou la morveuse soit éternellement pendu à ma magnifique poitrine et prenne plaisir à me la triturer vingt fois pas jour. C’est mort. Il insistait sur les bienfaits pour la sangsue de se nourrir de ce breuvage exclusivement maternel évidemment ! Il ne faudrait pas non plus confier une tâche à ces messieurs ! Après tout ce que nous traversons, nous, il faudrait en plus se farcir de les avoir perpétuellement accrochés à nos nibards ! Il pouvait se brosser ! Mais bon, il l’a fait. Il a tout fait comme il l’avait promis. Puis quoi ? Y avait intérêt ! Toute la période où j’étais engrossée, il ne pouvait pas la vivre à ma place après tout. Et ne parlons pas de l’expulsion. Quatre kilos et 203 grammes. C’est gravé. Si j’avais pu, je me serais fait ligaturer les trompes directement après sa sortie. Mais bon, ils ont refusé, ces docteurs à la ramasse. La médecine a vraiment des progrès à faire. Puis d’ailleurs, pourquoi pense t-on que tout ce que peut sortir une femme après la descente, est dû aux hormones et qu’elle « retrouvera ses esprits après » ? Quoi qu’il en soit, j’étais sérieuse et les esprits qui se sont barrés n’ont toujours pas été retrouvés… On s’en fiche, je ne crois pas qu’ils aient jamais vraiment été là de toutes façons…

« Tu verras, qu’elles disaient, ce sera le plus beau jour de ta vie ! ». « Et la grossesse, sentir ce petit être grandir au fond de toi, c’est merveilleux ! ». C’était épouvantable. Une horreur.Je comptais les jours et les semaines. La cerise sur le gâteau, c’est le karma qui me l’a envoyée. Au terme de ces mois de souffrance, elle ne voulait pas s’extirper de mon abdomen. Six jours après le terme, elle y était encore. Les médecins étaient à deux doigts de me déclencher, quand elle a décidé de pointer le bout de son crâne dégarni. Une petite chieuse. Elle avait de qui tenir. Au moins quand on est un pingouin, le mâle couve l’œuf lui aussi, et la femelle n’a pas à faire tout le boulot. Les mâles sont un peu plus impliqués dans le processus amenant à l’éclosion. Nous, on doit tout faire toutes seules. Vous imaginez Roy, avec son mètre quatre-vingt et ses 95 kilos, s’asseoir sur mon bide pour couver ? Haha ! Ce serait une punition bien pire que de porter un alien dans mon ventre pendant neuf longs mois et 6 jours, qui me pique la moitié de ma bouffe et me la renvoie direct dans les cuisses.

J’imagine qu’on doit s’en estimer heureuse. Quand elle est née elle ne m’a pas regardé comme le faisaient les mochetés que regardait mon mari sur Youtube, en attendant d’avoir notre fille. Au contraire, elle cherchait une paire d’yeux plus accueillante que la mienne, qui disait déjà : « Ok t’es là, t’es plutôt mimi, mais fais pas chier« . Elle n’eût pas à chercher longtemps, son père planta son regard dans le sien, et elle apparut comme soulagée : « En voilà un qui m’adore déjà ». Elle a dû se dire un truc du genre… Et ça a été le début de la fin. Une tragédie pour notre vie de couple. Mais comme dans toute tragédie, il y a de la beauté. C’est une loi de l’univers. Et je la regarde se dérouler sous mes yeux en ce moment même. Sans les tragédies et les malheurs, la vie perdrait assurément en saveur et en goût. Voyez les gosses de riche ! Pas de problèmes, ils finissent invariablement dépressifs…

C’est un peu comme le sel : mon ingrédient préféré. On peut mettre tout ce qu’on veut comme épices dans un plat. Mais si on n’y met pas sel, il n’a pas de goût. Il est dangereux pour la santé si on met trop, mais il relève toutes les autres épices à lui seul. La tragédie, c’est le sel de la vie. Certains couples disent qu’après un adultère ils en sorti plus forts. Leur couple en a été plus solide. Ces briseurs et briseuses de ménages leur ont permis de se renouveler malgré tout. De leur rappeler qu’ils s’aimaient et à quel point. Il est un autre type de briseurs de ménage, et ceux-là sont beaucoup plus dévastateurs. Ce sont eux : les GOSSES.

Avant, en rentrant du boulot, je jetais mon sac et mes chaussures, et on se retrouvait avec Roy, devant la télé ou avec des potes. Parfois, on se faisait un petit apéro juste tous les deux. On était bien. On se réveillait le week-end et on se demandait ce qu’on allait faire ou on faisait ce qu’on avait planifié la semaine précédente, etc. Ouais… On était bien. Depuis l’arrivée de la briseuse de ménage dans nos vies, tout avait changé. Elles avaient donc raison sur ce point ces sales menteuses de mères : tout change après. Mais dans leurs bouches, ça sonnait comme une bonne chose. Il était là le mensonge. Pour nous, c’était des disputes parce que je ne comprenais pas qu’à mon retour du boulot, j’ai droit à une agression à quatre pattes, déboulant entre mes escarpins pour m’accueillir. Et bien sûr, il fallait que j’en soit toute jouasse, ayant réussi à m’en débarrasser pendant mes quelques heures de travail, ce moment-là, devait être le point culminant de ma journée. Rentrer chez moi et voir ma fille en demande d’affection, de changement de couches sales, et de nourriture. Et c’est moi qui ai un problème ? Qu’on ne puisse plus prendre l’apéro tranquilles sans un miaulement de fond émanant de la chambre de son « petit chaton » comme il l’appelait.

Lui ne comprenait pas que je ne sois pas pressée de la récupérer après le court (long pour lui), week-end chez les grands-parents. On peut dire ça oui, en résumé, on ne se comprenait plus. Sa phrase préférée ? : « Comment se fait-il qu’une FEMME (pas une personne, une femme) soit aussi détachée de son propre enfant Hélène !!! »

Breaking news Roy : Nous aussi ça peut nous nous gaver vos histoires de gosses figures-toi !Il y en a bien plus que ça parmi vous, les matriarches, qui n’aiment pas réellement leurs gosses. Ou du moins, pas tout de suite. Et puis pas tout le temps non plus. Ça va, ça vient. On ne va pas me faire croire, que tout ça c’est forcément inné. Han-han. Bon, Ça a duré deux ans. J’ai essayé, enfin, j’ai fait semblant. Mais ça n’a pas marché très longtemps et je suis partie. Et ça m’a fait du bien, quelques temps. Mais voyez-vous ces idiotes de mères, avaient toujours raison. Une fois qu’ils sont là, on s’habitue à eux. Et lorsqu’on les perd, et bien ils nous manquent. Comme s’il nous manquait un membre. Après tout, ils avaient été comme l’un de nos organes à un moment donné.

C’était vrai, ma vie avait changé. A un point que même en l’ayant retrouvée, en étant à nouveau seule, disposant de mon temps comme bon me semblait… il y avait un vide. Personne ne m’accueillait en sortant du boulot. Personne ne me regardait avec un amour infini dans les yeux, même si je ne le lui rendait qu’au compte-goutte. Je n’entendais plus de rires, je ne voyais plus de petits regards espiègles avant de faire une connerie qui m’aurait énervée au plus haut point. Finalement, c’est une briseuse de ménage comme les autres, une petite garce adorable elle, qui a jeté sa pincée de sel dans nos vies. À ceci près que contrairement à celles qui ont séduit les maris des gens, son passage dans ma vie m’a fait réaliser à quel point je l’aime, elle.

Son père ? Je l’ai toujours aimé et je l’aime encore, rien de nouveau pour moi. Mais lui ? M’aime t-il encore ? Quelle question ! Je sais que oui. Roy et moi c’est pour la vie. Il croit qu’il aime ces femmes lisses, gentilles, qui n’ont rien de craignos, aucune bizarrerie, aucune folie. Des femmes un peu comme lui, mais c’est faux. Roy aime tout son contraire. Mais j’avais été trop loin, et je craignais qu’il n’ait changé, qu’il en ait eu marre de moi. Malgré tout, je sais qu’il est heureux avec elle et ma fille. Il a la famille qu’il a toujours voulu, et ma fille a quelqu’un qui lui rend ses câlins avec amour lorsqu’elle rentre du boulot. Qui rit béatement et lui lit des histoires le soir, avant de faire tendrement, banalement, l’amour à mon ex. Alors, du bout de mes mains manucurées, je redescends mes Tom Ford sur mon nez, je remets le contact et desserre le frein à main pour m’en aller et ne rien perturber à ce tableau parfait, ou presque.

Après à peine 100 mètres, je freine d’un coup sec et me range sur le bas côté. Je les regarde à travers le rétro du pare-brise par-dessus mes lunettes, avec la même mine que celle que ma fille m’a empruntée et je la vois. Elle me regarde fixement, ma fille. Et soudain je m’interroge : est-ce qu’elle m’a vue depuis le début ? Est-ce qu’elle faisait semblant de ne pas me voir ? Est-ce qu’elle me torturait en jouant et en riant exagérément avec cette stupide attardée ? Elle me fixe encore, avec cet air de défi dans le regard qui dit : « Sors de cette voiture si t’as des couilles, et sois assurée que je te ferai payer de m’avoir abandonnée« .

Ne vous méprenez pas, ça, ça veut dire qu’elle m’aime, quand même. Je le savais, c’est bien la fille de sa mère. Une vraie petite chieuse. Mais c’était elle qui avait raison. Je préparai alors mon débarquement dans la petite vie tranquille et confortable que Roy croyait s’être construite et surtout, qu’il croyait aimer. C’est vrai après tout, je ne sais pas pour vous, mais moi, je trouve que tout cela manque un peu de… sel.

Texte : Yan Oya.

NELTINTANEGRA

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