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Atelier d’écriture : À la folie…mais jusqu’où ? – Partie 2 – Texte de Val Ayiti Sekh Met

(Retrouvez la Partie I par ici >>> )

« Les folies sont les seules choses qu’on ne regrette JAMAIS ».

Cette citation d’un écrivain connu a toujours été l’une des philosophies de vie de Manno, je l’ai toujours trouvé intéressante jusqu’à cet instant. Comment ai-je bien pu me retrouver en hôpital psychiatrique ? Qu’est-ce que Dantor a-t-elle bien pu faire pour que j’en arrive là, ce n’était pas ce qui était initialement prévu dans notre plan. Elle devait juste préparer la cérémonie qui m’aurait permise de retrouver ma liberté/mon libre arbitre, une cérémonie moins prestigieuse que celle de « Bwa Kaiman », où elle avait pris aussi possession du corps d’une femme, pour procéder au rituel lors duquel un cochon noir aurait été sacrifié en son nom et son sang aurait servi à conclure un pacte qui devait amener à la révolte des esclaves et à leurs libérations. J’espère qu’elle n’a pas essayé de remplacer le sang du cochon noir par celui d’une personne !

Le bruit d’une clé dans la serrure me ramène à cette réalité.

– Bonjour Madame Kalina, comment allez-vous aujourd’hui ? Vous semblez beaucoup plus calme, nous pouvons envisager le petit déjeuner au réfectoire avec les autres patients, ça vous changera de votre chambre d’isolement !

– Bonjour monsieur, oui effectivement voir du monde ne peut pas me faire de mal, je n’arrive pas à me souvenir depuis combien de temps je suis ici, pourriez vous m’informer là-dessus ?

– Mais c’est que vous parlez notre langue !!! Votre fiancé nous l’avait bien dit mais nous commencions à en douter, jusqu’ici vous parliez une langue qui nous est inconnue.

– Mon fiancé ?

– Oui Monsieur Batum, c’est bien votre fiancé ?

– À mes yeux il ne l’est plus depuis longtemps !

– Nous pourrons en rediscuter plus tard en présence du psychiatre, en attendant je vous accompagne au petit déjeuner.

J’avance dans un long couloir, un couloir sombre grisâtre, les murs dépeints et une odeur de surdose de produits désinfectants qui commencent à m’irriter les yeux. Nous arrivons dans une salle où les occupants ressemblent à une horde de zombies, on m’indique où m’assoir. Je reste sans voix devant un tel spectacle, mes codétenus semblent drogués. En face de moi mon voisin me fixe, un frisson me parcours le corps, j’essaie de contrôler ma respiration pour ne pas paniquer !

Il se met à me parler en langue, je ne saurais dire laquelle mais bizarrement je la comprends très bien, il me dit qu’il sait tout de moi, qu’il y a peu c’était une lwa comme lui qui était là dans mon corps et que si je ne m’y prends pas bien, je resterai enfermée pour une très longue durée comme son hôte ! Il me dit aussi qu’il y a de nombreuses personnes comme nous dans d’autres pavillons de l’hôpital, mon fiancé ne sait toujours pas que j’ai découvert la vérité et qu’il ne faut surtout pas qu’il l’apprenne. Avant de terminer il ajoute qu’il ne va pas tarder à venir me rendre visite.

Je l’ai laissé parler, je ne fais que l’observer en espérant déceler le vrai du faux sans dire un mot. En une fraction de seconde mon voisin de table sembla ne plus être le même, sa posture, son regard et même sa voix avait changé !

– Bonjour, je m’appelle Nicolas et vous comment vous appelez vous ?

Il a répété cette phrase un bon nombre de fois avant que l’on me ramène dans ma chambre après la fin du petit déjeuner. J’essaie de m’endormir, à chaque fois que je ferme les yeux je vois le monde invisible Dantor et Ogou sont là mais ne me disent rien, je veux leur parler mais aucun son ne peut sortir de ma bouche, ils me font signe de me taire comme si on nous épiait. « Les souvenirs sont des entités physiques avec lesquelles il faut apprendre à vivre !» J’entends une voix me souffler ces quelques mots à l’oreille, j’essaie dans comprendre le sens mais de nouveau le bruit d’une clé dans la serrure me ramène dans cette folle réalité !

– Madame Kalina vous avez de la visite, votre fiancé vous attend dans le petit salon.

– Merci je vous suis !

Mon cœur fait « bidip bidip » dans ma poitrine, je ne sais pas comment réagir avec lui. Dois-je continuer à jouer la comédie ou aller jusqu’à la confrontation ? Plus j’avance plus je sens l’odeur d’un mélange de parfum mystique me prendre au nez, une folle envie de rire me prend ! Je me force littéralement à ne pas le faire comme si ma bouche ne voulait pas coopérer.

– Bonjou ti madanm mwen

– Bonjou

– Absans ou toumante ´m lè ou pa la m’sentim lwen, map chèche w nan kay la maten midi e swa ! Vle pranm’w nan bra ´m tandreman

– Sak pase ´wi mezanmi ? Ou gen lè pran pawol sa yo nan yon chanson ! Si ou te vle fè bagay yo byen ou te dwèt pran « relasyon sa tounen yon kansè cheri, kap touye ´m san’ m pa konnen, kap mete nou anba tè ! »

– Ho poukisa wap di sa, sa kap pase pou ou pale avèm konsa ? Ou gen yon problème

– Mwen menm ? Pa gen problèm non ! Mwen gen yonn de kesyon sellant, mwen ta renmen konnen poukisa ou fwote kò ou ak Florida melanje ak pafen Rêve d’or et poukisa ou abiye tankou baron samdi ?

Cette conversation me semble irréelle. Je suis assise devant Manno avec la conviction que ce n’est pas lui qui est là, des paroles sortent de ma bouche sans que je puisse contrôler quoi que ce soit ! Mon corps ne fait que trembler comme si j’avais un début de Parkinson, ma voix n’est pas la même ni la sienne ! Je ne comprends plus rien, je suis perdue ! Son regard me transperce, il semble lire en moi ! J’essaye de fermer les yeux, je n’y arrive pas mon corps ne répond plus à ce que je lui demande, j’essaye d’appeler Dantor et Ogou !!!

– Madam pa fatige tèt ou, pèsonn pa ka sove ´w ! Se pou mwen ou ye kounye a sèlman pou mwen!

Je ne sens plus rien, je suis comme anesthésiée, j’ai l’impression de sortir de mon corps mais je ne veux pas. Son regard devient rouge, il se met à fumer un gros cigare et m’envoie la fumée au visage, je ne vois plus rien ! Il commence à parler en langue, des brides de souvenirs me reviennent ! Ce jour où j’ai j’avais pris la décision de quitter Manno et qu’une voix intérieure m’a dit que si je le faisais ça me tuerait, qu’il fallait que je fouille la maison sans me dire ce que je devais trouver ! Ces nuits où je me réveillai en sueur avec les jambes coupées et l’impression d’avoir eu des rapports torrides, je comprends que c’était avec lui ! Je me revois trouver cet hôtel dans un coin de notre cave avec essentiellement des effets personnels m’appartenant, c’est là que j’ai su qu’il fallait que je prennes contact avec mes Lwas comme mon père me l’avait enseigné.

Je comprends que Manno a surpris Dantor avant qu’elle ne puisse terminer la cérémonie, je lui avais explicitement demandé qu’aucun sang ne soit versé et visiblement elle m’a écoutée et a laissé Manno l’enfermer enfin m’enfermer en hôpital psychiatrique, la solution la plus simple pour un Chef de Pôle en HP ! J’ai la sensation que Manno n’est plus et que Baron a pris définitivement sa place ! Je suis de nouveau hors de mon corps, cette fois-ci sans l’avoir choisi ! Je n’ai plus la notion du temps, je peux voir mon corps allongé sur mon lit dans ma maison avec Baron pas loin toujours entrain de fumer son cigare et habillé avec le plus beau costume de Manno. Mes lwas sont là, ils me font comprendre que je suis là pour une durée indéterminée, visiblement Baron me prendrait à raison pour la réincarnation de son grand amour Brigitte !!! J’aurais dû avoir une Marasa, elle n’a pas survécu. Mon père m’avait dit qu’il l’a voyait régulièrement proche de moi dans les moments importants, à cette instant elle m’a laissée pour suivre Baron.

Texte : Val Ayiti Sekh Met

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